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Education et littérature de voyage

20 février 2014

Visions françaises de l'Orient Partie 1

Il est d’usage en parlant de l’image de l’Autre, de l’Orient et de l’Occident, de faire un retour aux origines de cette fracture, qui remonte selon beaucoup de penseurs à plus de mille ans, durant lesquels notre imaginaire s’était meublé d’images simples, qui se sont figées en clichés, et qui s’articulent sur les oppositions binaires : le bien et le mal, la civilisation et la barbarie, la tradition et la modernité etc. selon cette même approche binaire, l’Orient serait mystique, irrationnel, violent ; l’Occident serait rationnel, laïc, technicien, démocrate. Bref, l’Orient est barbare pour les Occidentaux, l’Occident est la terre de la barbarie par excellence pour les Orientaux ; un continent sans âme, une machine de puissance qui veut dominer le monde par la science et la guerre.

Nous avions cru apprivoiser cette fracture au cours du siècle passé en parlant du monde développé et du monde sous-développé. Mais un événement sans précédent devait réveiller les peurs et les haines refoulées : le 11 septembre 2001. A nouveau déferlent les paroles, les discours, les images : Nous et les Autres, la barbarie et la civilisation… les barbares pieds nus ou en sandales, la tête enturbannée, les barbes abondantes sortent de leurs cavernes pour s’attaquer aux civils innocents de l’empire du ciel, « les tours jumelles », symbole de la modernité. Un retour au point de départ !

Cette fracture est-elle réelle, ou, comme dit Edward Saïd, « l’Orient a presque été une invention de l’Europe depuis l’antiquité… et la relation entre l’Occident et l’Orient est une relation de pouvoir et de domination ».

a- Notion d’Orient

L’Orient a été pendant des siècles mal défini et presque inconnu. Tantôt qualifié de « proche », ou d’« extrême », tantôt identifié avec l’Afrique même ou avec l’Océanie, quand ce n’est avec l’Espagne ou la Russie, l’Orient a fini par faire le tour du monde.

Les frontières de cet Orient-maltraité par les géographes- se traçaient souvent dans l’imagination des écrivains qui considéraient que tout ce qui n’appartenait pas à l’Occident et même à l’Europe était l’Orient. Chaque auteur en donnait la définition qui lui paraissait logique. Ainsi pendant des siècles, il est resté un « Orient littéraire ».

Il faut donc considérer que l’Orient fut surtout pour les Européens                       une notion psychologique, un immense fourre-tout de l’imaginaire occidental, d’où il est insaisissable. Son importance c’est que ce regard trahit plutôt l’Occident et ses fantasmes. L’Orient devient une antithèse. La représentation d’une altérité globale.

 

b- Les termes de la rencontre

Certains ouvrages considèrent que la rencontre entre l’Orient et l’Occident date du VIIIème siècle, lors de l’expansion arabe. Mais il faut préciser que cette expansion se déroule à un moment où la conscience européenne (l’Occident) ne s’était pas encore formée. Même l’Orient ne constituait pas une entité.

La conscience de deux blocs ne se formera pas en Europe qu’avec les Croisades, et plus clairement au XVIème siècle avec la Renaissance. Et en Orient après la prise de Constantinople par les Turcs en 1453.  

Ces Croisades ont fait l’objet à travers les siècles d’une inépuisable littérature. Certains ouvrages parus au cours des dernières années ont remis ces événements dans une perspective plus équilibrée.

Quand ce mouvement fut lancé, la civilisation musulmane avait atteint un degré de raffinement et d’épanouissement dont l’Occident n’a pas la moindre idée. Ce choc fut entre deux puissances : d’une part, des royaumes naissants et des princes chrétiens forts de leur puissance militaire ; d’autre part, une civilisation brillante, forte de son savoir, mais affaiblie par ses divisions internes. Au milieu, une tierce puissance en déclin, Byzance, qui cherche des Croisés commence par une fiction : la Terre Sainte à délivrer, alors qu’en fait, elle était une guerre de chevaliers en quête de fief, une guerre d’«expansion féodale ». Cette incompréhension de l’Autre se reflète dans le discours littéraire et religieux, qui ne fait apparaître de l’Orient que son visage infidèle et trafiquant. Dans tous les romans, contes et épopées, nous avons une image bizarre de la religion musulmane. On représente le prophète Mahomet comme un Prophète ridicule, un possédé du diable. Les coutumes et les mœurs des infidèles ne sont pas moins bizarres : vol, pillage, déloyauté, traîtrise, polygamie etc. Le livre de la loi du Sarrazin a été longtemps célèbre en France. Il ne manque pas de montrer la religion musulmane comme une recette de superstitions diaboliques. La tension politique et militaire avait empêché la littérature d’illustrer la vérité sur l’Orient. Ainsi un sentiment d’exagération la dominait. La haine et l’esprit de profit avait rendu difficile tout contact humain véritable. Pour cela, l’Orient de la littérature médiévale, dans ses grandes lignes n’était que l’image d’un pays d’ogres et de fées, habité par des infidèles aux habitudes méchantes et ridicules.

 

c- Le Siècle de la Renaissance

Le Moyen-âge s’était terminé pas des défaites des armées européennes en Orient, et c’est en vain que le Pape Clément VI tente de ranimer l’esprit de Croisade en 1344 ; déjà une autre époque s’ouvre pour l’Europe. Le XVIème siècle c’est le siècle des découvertes : l’Amérique, le Canada, la route de l’Inde… c’est le siècle de la Renaissance, du cosmopolitisme, de la science universelle.

En même temps, l’Autre, l’Oriental, change d’identité. « L’infidèle » n’est plus l’Arabe, mais le Turc qui s’est approprié Byzance (1453), la Syrie, l’Egypte (1515-1517), l’Irak (1534) et l’Afrique du Nord (1529-1574).

L’Autre, c’est une force qu’on redoute, qu’il n’est pas question de conquérir, d’où la tentation de l’apprivoiser en littérature.

Politiquement, les relations entre Orient et Occident se déroulent entre deux mondes clos, malgré les relations commerciales qui commençaient à s’améliorer.

Il est d’usage cependant de citer deux noms d’humanistes du XVIème siècle qui avaient déployé des efforts pour la compréhension mutuelle : Guillaume Postel et Jean Bodin.

Postel a étudié la réalité sociale de l’Orient De la République des Turcs, 1560, sa religion le Livre de la Concorde entre le Coran et les Evangiles, 1553, sa langue (il a même enseigné l’Arabe). Sa motivation était le désir de trouver des voies de conciliation entre l’Islam et le Christianisme.

Mais Postel n’échappe pas à l’esprit systématique de l’Autre : « pour entreprendre l’explication de l’argumentation perverse du Coran, je ne me suis pas fondé sur des textes latins, mais sur les textes arabes eux-mêmes… Je n’ai pas jugé pour autant qu’il fallait retenir dans ces lois ce qui est satisfaisant, mais plutôt les moyens fortuits par lesquels Mahomet en est venu à l’astuce de faire accepter rapidement sa doctrine… » (Alcorani seu legis Mahometi).

Postel retrouve cependant quelques côtés positifs à l’Islam :

- d’une part, ses conquêtes sur l’idolâtrie préparent le terrain à l’authentique révélation.

- d’autre part, la menace qu’il constitue pour la chrétienté oblige celle-ci à se redresser.

L’avenir de l’Islam c’est de se dissoudre dans un universalisme chrétien régénéré. L’effort entrepris pour comprendre l’Autre, c’est pour mieux se l’assimiler.

Quant à Bodin, il est l’auteur De la Méthode de l’histoire, et De la République, et De l’Heptaplomeres, ouvrage jamais diffusé du vivant de l’auteur, dont les copies manuscrites circulèrent très longtemps sous le manteau, avant qu’il ne soit finalement publié au XIXème siècle. Ce livre témoigne d’un réel et profond esprit de tolérance.

Rédigé sous forme de discussion entre sept savants de diverses confessions, l’auteur expose les dogmes des protagonistes avec un esprit ouvert et amical. Il en ressort qu’aucune des religions n’est meilleure ni pire que les autres et que la diversité des approches vers Dieu est enrichissante. Le colloque s’achève dans une meilleure compréhension mutuelle, et chacun, en respectant la croyance de tous les autres, reste fixe dans la sienne.

Bodin accepte l’Autre et le respecte en tant que différence enrichissante. Résultat : accusation d’hérésie.

L’Humanisme au XVIème siècle en tant que mouvement intellectuel, et malgré l’effort d’une élite éclairée n’a pas pu sortir l’Orient du cercle de l’ignorance et de l’hostilité. Ce siècle annonce l’orientalisme européen : l’Autre apparaît comme une matière à engloutir et à digérer.

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